Ulysse n’est pas d’ici
Ulysse n’est pas d’ici

Ulysse n’est pas d’ici

Texte de Jean-Paul GAVARD-PERRET sur les œuvres de l’ artiste Odile ESCOLIER (septembre2006)

I.
Une éclaircie soudain s’étonne. Un rayon de jaune voudrait dessiner des carènes et des drisses sur un pan en rade . Alors plus que le récit la phrase. La seule pour dire l’histoire sans fin des  silhouettes égarées. On voudrait dire à l’artiste :  » Rien ne vous oblige, pourtant de les accompagner « . Mais elle continue, obstinément. Car il ne s’agit pas de supprimer un éloignement, il s’agit de l’estimer en une remontée plastique.  » Lever l’encre  » par exemple mais seulement comme par fragments et cassures, vers la dérive : le neutre du langage à la violence du vent. Ainsi la peinture, la vraie, est celle qui n’ignore ni la souffrance ni le doute mais qui ne s’en contente pas. Elle avance, rampe en silence. mais afin que l’être ne disparaisse pas dedans.

II.
Pour Odile Escolier aucune île est en vue pour Ulysse et les autres. Au mieux elle en signifie au sein de ses structures son contour. Elle éloigne et rapproche. Tient au loin et touche. Entendez le ainsi : sa peinture est une cavatine – creusant l’être, l’être perdu dans son désert mais qui se souvient qu’un temps il fut paisible. Toutefois la peinture n’est pas un récit c’est un récif avec l’être qui reste dessus. Devenu sentinelle il s’enfuit, voudrait revenir à son point de départ. Un ventre maternel pourrait être son terme. Dans l’attente, il nous fait face, il nous appelle. Vous l’entendez ?

III.
L’artiste montre tout ce qu’elle entend au sein de silence de l’être, tout ce qu’elle suppose aussi du silence de celui qui lui fait face ou l’accompagne. Mais il en va de quoi au juste ? Pas même un fil – ou si ténu. Juste une suite de silhouettes fixes. Même si elles savent que ça aura un terme, le mouvement n’est plus de leur ressort. L’une pourtant accompagne l’autre. Comme seule rencontre. Ensemble et séparée. Chacune à leur tour. Comme un couple de Beckett qui ne pourra venir à bout, tenir jusqu’au bout, même si le mâle est  » fait  » depuis belle lurette. Et sa compagne aussi. Ils attendent simplement que la fin ne soit pas trop longue. Avec cette injonction, cet appel à la vie. Odile Escolier y revient, n’en sort jamais. A défaut d’oser le dire, peu à peu elle la montre faisant surgir un univers d’émotions les plus profondes.

IV.
Trajet du noir sur page blanche ( traces de lumière ?). Couleurs nourricières sur la toile : ce qu’il y a d’élémentaire est ruminé, restitué. Dans le plus diaphane(encre) ou le plus épais (pigments ou collages) le corps parle. Toucher ainsi à ce qu’on cherche. Qu’en est-il de l’issue ? Peindre n’est plus – fatalement – mettre de l’ordre, c’est créer le mouvement. Peindre c’est entrer dans le silence – pour ne plus en bouger ? au moment de la plus grande fatigue, à cette  » croisée  » des chemins. L’encre et la peinture ont parfois envie de courir, de partir en filet : mais Odile Escolier les retient. Tout se joue dans l’instant, dans l’instinct. Mais pourtant rien ne coule  » de source « . L’encre, l’acrylique, les pigments, les collages requièrent une concentration absolue. C’est là où les formes s’épanouissent. La couleur comme le noir (qui aussi est une couleur) sont une même respiration. Ils s’acharnent vers une lumière, pas n’importe laquelle. C’est un soleil, un soleil qui par pudeur se cache mais nous recharge de feu.

V.
Il y va d’une dérobade au moment de la plus grande retenue. L’innommé invisible fait surface. Reste ces êtres appats que la peinture exhibe et récuse. Ils sont plantés là et leur issue est incertaine. On remonte leur histoire – du moins ce qu’il en reste : sa vibration. Jouant sur l’achèvement et l’inachèvement Odile Escolier atteint cette charnière majeure : quelque chose de non fini, de suspendu. Quelque chose qui échappe mais prend corps pourtant. Il y a pénétration et épuisement. Faille et présence.